Pourquoi est-il si important de s’intéresser aux soft skills ?
Au-delà des diplômes et de l’expérience, la prise en compte des savoir-être du candidat favorise la diversité et l’engagement tout en luttant contre l’obsolescence programmée de compétences techniques. Explications.
Longtemps, les diplômes et l’expérience ont servi de clés uniques pour entrer en entreprise et y faire carrière. La formation initiale permettait d’accéder à un métier donné, puis l’expérience engrangée était la promesse d’évolution et de promotion. Dans le sacro-saint CV, il convenait donc de valoriser les compétences techniques (hard skills) acquises pendant les études et l’activité professionnelle. Ce prisme réducteur, qui sous-estime l’importance de la personnalité et de la motivation d’un individu, a donné lieu à de nombreuses erreurs de casting et à un désengagement des individus placés à des postes ne correspondant pas à leurs aspirations profondes. Notre monde post-Covid invite à privilégier les soft skills, à savoir les qualités propres à un individu, qui ne s’acquièrent pas dans une salle de classe ou au travail. Relevant du savoir-être, ces compétences comportementales ont trait à l’émotion ou au relationnel comme l’autonomie, l’adaptabilité, la capacité d’écoute, l’esprit d’équipe, l’ouverture d’esprit, le sens de l’organisation ou la rigueur. Autant de qualités qui ont été éprouvées lors de la pandémie avec la généralisation du télétravail.
S’écarter de la culture du feeling
Confrontée à une pénurie de talents, une entreprise se doit, par ailleurs, d’élargir sa recherche au-delà des profils types. En valorisant la motivation et la personnalité de candidats, elle favorise la diversité en repêchant des individus qui auraient jusqu’alors été écartés sur la seule foi de leur CV. Enfin, entre la transformation numérique et la transition écologique, les organisations sont confrontées à un grand nombre de ruptures technologiques ou économiques qui rendent les compétences techniques rapidement obsolètes. Selon une étude publiée par Dell et l’Institut pour le futur, 85 % des emplois de 2030 n’existent pas aujourd’hui. Autant, dès lors, miser sur des esprits agiles à même d’acquérir les compétences futures.
Mais comment juger la capacité d’un candidat à réussir à un poste donné ? De nombreux recruteurs s’en remettent à leur intuition. Véhiculant des biais, souvent inconscients, ce fameux « feeling » les conduit à embaucher les mêmes clones. « Le recrutement est plus une science qu’un art », comme l’indique Emeric Kubiak, Head of Science chez AssessFirst et il doit se baser sur des méthodes d’évaluation validées scientifiquement.
Une entreprise peut s’appuyer sur le Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (Rome), la nomenclature de Pôle emploi qui associe des savoirfaire et des savoir-être professionnels à chaque métier. Il existe aussi un grand nombre de tests de personnalité. L’APECITA a recours au Sosie, qui permet de cerner le profil du candidat en évaluant sa personnalité, ses valeurs et ses sources de motivation, et à l’outil TLP Navigator, qui fait le lien entre les atouts personnels de ce dernier et les exigences du poste à occuper.
L’IA pour accompagner les recruteurs
L’intelligence artificielle (IA) peut aussi accompagner les recruteurs dans cette phase d’évaluation. Des solutions dites de « recrutement prédictif », comme celles proposées par AssessFirst, Goshaba ou TestGorilla, proposent de prédire, avec leur algorithme, la probabilité qu’a un candidat de s’épanouir professionnellement en prenant en compte une multitude de paramètres. « Un modèle prédictif peut être défini comme un ensemble de facettes de personnalité et de dimensions de motivations qui sont explicatives de la réussite sur un poste donné », explique Emeric Kubiak. Pour cela, l’IA va extraire les compétences métier requises à partir d’une description du poste, puis associer chacune de ces compétences à des traits de personnalité et des leviers de motivation. L’IA peut aussi identifier les dimensions explicatives de la réussite parmi un échantillon de collaborateurs déjà en poste.
— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3028)
Étude : Recruteurs et candidats se s’accordent pas sur les compétences attendues
Une étude OpinionWay menée pour le compte d’Indeed révèle des écarts de perception entre recruteurs et candidats sur les compétences attendues. Les employeurs s’intéressent davantage aux soft skills. Selon ces derniers, les critères faisant le plus défaut aux candidats sont la rigueur (37 %), la débrouillardise (31 %), une expérience professionnelle pertinente dans le poste à pourvoir (27 %), la capacité à travailler en équipe (27 %) et des compétences métier spécifiques (24 %), soit trois compétences de comportement sur ces cinq critères.
Seuls 16 % des managers impliqués dans les recrutements sont prêts à faire des concessions sur l’absence de rigueur, la même proportion pour la débrouillardise et 18 % pourraient lâcher du lest sur la capacité à travailler en équipe. En revanche, le niveau de diplômes attendu et l’expérience professionnelle pertinente peuvent faire, selon eux, l’objet de compromis.
À l’inverse, les candidats attachent une forte importance aux hard skills. Selon eux, les compétences faisant défaut à leur candidature portent sur les compétences linguistiques (29 %), le niveau de diplômes attendu (25 %), les compétences managériales (21 %) et l’expérience professionnelle pertinente dans le poste à pourvoir (20 %).
Avis d’expert : « Depuis la covid, les candidats veulent être davantage jugés sur leurs valeurs et leur personnalité »
Emeric Kubiak, Head of Science chez AssessFirst.
Est-ce que les entreprises prennent mieux en compte les soft skills dans leur processus d’évaluation ?
Emeric Kubiak : Oui. Un grand nombre d’études scientifiques a démontré combien les compétences comportementales étaient des facteurs clés de succès professionnel, bien au-delà des diplômes et de l’expérience. Les tensions actuelles sur le marché du travail conduisent les employeurs à réfléchir à ce qu’est vraiment la notion de talent. Dans le contexte de pénurie, la prise en compte des soft skills permet d’élargir son bassin d’emploi.
Par ailleurs, dans un monde particulièrement mouvant, il est impossible de prédire quelles seront les compétences techniques attendues dans cinq ou dix ans. Il faut donc miser sur la capacité et la motivation des candidats à acquérir les compétences à venir, de manière continue. Du côté des candidats, la perception a changé. Depuis la crise de la Covid-19, ils souhaitent être davantage jugés sur leurs valeurs et leur personnalité. L’évaluation ne s’arrête pas au stade du recrutement. Tout au long de la vie du collaborateur, elle peut éclairer des prises de décision en matière de mobilité interne ou aider un manager quant à la façon de manager telle personnalité. L’évaluation orientera aussi un plan d’actions de développement personnel. S’il n’est pas possible de changer fondamentalement une personnalité introvertie, il est possible d’aider une personne à acquérir des méthodologies pour essayer d’agir différemment.
Quels blocages persistent ?
E. K. : Quelques recruteurs sont conscients de l’importance de la personnalité, mais ils s’en remettent toujours à leur intuition. L’idée reçue qui veut qu’un être humain ne puisse être jugé que par un autre être humain a la vie dure. Un recruteur est pourtant influencé par des biais cognitifs et inconscients, alors qu’une IA, quand elle est bien conçue, présentera une objectivité totale. Le recrutement est plus une science qu’un art et doit se baser sur des données fiables issues de tests psychométriques validés scientifiquement. Beaucoup de recruteurs sont convaincus par la démarche, mais ils font face à des blocages internes. Il leur est difficile de convaincre des managers, qui s’arc-boutent sur la culture du feeling.
Quel est l’accueil des candidats ?
E. K. : Il y a peu de candidats réfractaires. 90 % jouent le jeu. Tout un travail de pédagogie est nécessaire pour emporter l’adhésion. Il faut expliquer les différentes étapes du processus et comment les résultats seront exploités par l’entreprise. Loin de l’image des questionnaires psychométriques un peu vieillots, AssessFirst propose des formats engageants, rapides et ludiques, accessibles sur mobile. Nous avons récemment développé un questionnaire de personnalité, basé sur des images, qui permet d’évaluer vingt facettes de personnalité en cinq minutes seulement. Le candidat a ensuite accès à la synthèse complète des résultats – ses points forts, ses ressorts de motivation, ses axes de développement –, ce qui renforce son engagement. S’il n’est pas retenu, il aura au moins appris des choses sur lui. Ces enseignements lui permettront de mieux valoriser sa candidature, voire de réorienter sa recherche.
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