Comment mettre fin à la réunionite à l’ère du numérique
En facilitant leur organisation, la visioconférence a fait exploser le nombre de réunions depuis la crise sanitaire. Ces « visios » reproduisent les défauts des réunions traditionnelles tout en rajoutant du stress numérique. Quelques conseils d’un « réuniologue » pour lutter contre ce fléau.
Chronophages, inutiles, stressantes… Les réunions n’ont pas toujours bonne réputation. Pour nombre de collaborateurs, elles sont synonymes de perte de temps. Insuffisamment préparées et pêchant dans leur animation, elles ne débouchent que rarement sur des résultats concrets. Si la réunionite est un mal récurrent de nos organisations, le phénomène a pris une ampleur inédite depuis la crise sanitaire et la généralisation de la visioconférence. Selon une étude de Microsoft publiée en mars 2022, le temps hebdomadaire passé en réunion par collaborateur aurait augmenté, au niveau mondial, de plus de 250 % au déclenchement de la pandémie pour rester stable ensuite. « Si les réunions en visioconférence sont plus compactes et décisives, elles sont plus nombreuses, compte tenu de la facilité que permet le numérique d’en organiser, confirme Louis Vareille, « réuniologue » et auteur du livre La réunionite ça suffit ! Pas de salle à réserver ou de personnes à faire changer d’étage, il suffit de quelques clics sur un agenda pour se coordonner. » Si les outils collaboratifs comme Teams, Zoom ou Webex évitent des déplacements devenus inutiles et permettent d’échanger plus facilement et plus fréquemment avec les bonnes personnes, ils font, selon lui, perdre en sérendipité. « Fini les rencontres fortuites à la machine à café ou à l’ascenseur, il faut caler un créneau pour pouvoir échanger », poursuit-t-il.
L’IA pour rétablir l’égalité de traitement entre participants
Au-delà de leur valeur réelle, l’enchaînement des « visios » – sans parfois même respecter le temps de respiration requis entre deux (au moins 30 minutes) – peut entraîner une fatigue physique et cognitive chez les participants et les exposer à des risques psychosociaux. Dans une organisation de travail en mode hybride, la visioconférence crée, par ailleurs, une inégalité de traitement entre les collaborateurs présents dans la salle de réunion et ceux qui interviennent à distance.
Au-delà du rôle de l’animateur qui doit évoluer afin d’embarquer tout le monde (lire interview), Louis Vareille conseille de profiter des apports de l’intelligence artificielle pour réduire les distances. Des caméras « intelligentes », par exemple, intègrent les personnes présentes dans la salle au sein dela galerie de visages.
Les solutions de visioconférence offrent aussi des modules de sondage ou de tableau blanc, permettant de facilement passer de l’oral à l’écrit. L’enregistrement de la réunion, pour qu’elle puisse être visionnée après coup par les absents, la transcription automatique des débats, voire leur compte rendu, sont d’autres fonctionnalités facilitant la vie des organisateurs.
Cet outillage ne dispense pas ces derniers de respecter un certain nombre de bonnes pratiques, que la réunion soit digitalisée ou non. Il s’agit de bien cerner l’objet de la réunion, convier seulement les collaborateurs directement concernés par le sujet, formaliser l’ordre du jour, envoyer en amont tout document susceptible de faciliter les échanges, scénariser à l’avance les grandes étapes de la réunion et les modes d’animation associés.
Dirigeant et fondateur d’Amazon, Jeff Bezos a théorisé une approche bien personnelle de la conduite de réunion. Il a banni les présentations PowerPoint et demande à ses équipes de rédiger un mémo de 4 à 6 pages pour présenter une problématique donnée. Les vingt premières minutes de la réunion sont consacrées à sa lecture avant que la discussion ne commence.
— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3016)
Avis d’expert : « LA VISIOCONFÉRENCE BANALISE L’ORGANISATION DE LA RÉUNION ET SA VALEUR »
Louis Vareille, président de l’École internationale de réuniologie et auteur de « La réunionite ça suffit ! »
En quoi la crise sanitaire a-t-elle fait évoluer le format des réunions ?
Louis Vareille : Je distingue deux catégories de téléréunions : les réunions symétriques et les réunions asymétriques. La réunion symétrique, comme nous l’avons vécue durant les périodes du confinement, place tous les participants sur un pied d’égalité. Il y a même un côté démocratique à voir le chef dans une galerie de visages avec parfois des parties de son intérieur dévoilées. Avec l’organisation du travail en mode hybride, les réunions sont malheureusement de plus en plus asymétriques. Les uns dans une salle, les autres à distance, tous les participants ne sont plus traités de façon équitable. Par sa simplicité d’usage, la visioconférence banalise par ailleurs l’organisation de la réunion et sa valeur. Rapportée au salaire horaire cumulé des différents intervenants, une réunion représente pourtant un coût non négligeable. La crise sanitaire a néanmoins eu pour vertu d’équiper tous les salariés en ordinateurs portables avec caméra et très souvent, de casques audio. Elle a aussi permis au plus grand nombre d’apprivoiser les outils de visioconférence dans un cadre personnel comme professionnel.
Quels sont les écueils des réunions en « visio » ?
L. V. : Elles reproduisent les travers des réunions traditionnelles. Il y a notamment une confusion très fréquente entre le sujet de la réunion et son objectif. Le casting est souvent mauvais en faisant venir des personnes qui ne tiendront que le rôle de figurant. L’animation peine souvent à entretenir une dynamique de groupe. Enfin, le plan d’actions arrêté en fin de réunion n’est pas toujours clair et engageant. À ces lacunes classiques s’ajoutent d’autres écueils propres à la visio. Au-delà des problèmes techniques – une caméra ou un micro qui n’est pas activé, un débit insuffisant –, il y a la « Zoom fatigue », la charge cognitive générée par l’enchaînement des réunions sur écran sans temps de respiration. Pour réduire cette charge cognitive, je recommande de supprimer le retour vidéo pour éviter que les participants ne soient préoccupés par leur propre image.
Quels conseils donnez-vous à l’animateur d’une réunion hybride ?
L. V. : Pour embarquer et engager tous les participants, l’animateur doit davantage appuyer ses gestes. Il commencera par un tour de table afin de s’assurer que tous les participants sont visibles et audibles et que l’agenda convient à tous. Ensuite, il doit penser en permanence aux personnes en distanciel, afin de rétablir l’équilibre entre les participants de 1re classe, présents physiquement, et ceux de 2nd classe, intervenant à distance. Cela suppose que les personnes dans la salle ne parlent pas entre elles et qu’elles regardent bien la caméra. Elles ne doivent pas non plus poursuivre les échanges une fois la réunion finie, au risque sinon de fausser le compte rendu qui en sera fait. Enfin, une recommandation qui s’applique à toutes les réunions : prendre le temps d’un dernier tour de table pour demander aux participants ce qu’ils en ont pensé et ce qui pourrait être amélioré. Il vaut mieux recueillir les doléances à chaud que de laisser les personnes partir avec un sentiment mitigé.
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