Comment faire de l’entretien annuel un exercice (vraiment) utile
Moment stressant, voire frustrant, l’entretien annuel d’évaluation est redouté, aussi bien par les collaborateurs que par leurs managers. Pourtant, bien préparé et conduit, l’exercice peut devenir un moment réellement productif. Conseils pratiques.
Tous les ans, en décembre ou en janvier, le rituel de l’entretien annuel d’évaluation fait son retour en entreprise. La pratique est aussi attendue que redoutée. Pour le collaborateur, c’est un moment de stress durant lequel se joue peut-être une partie de son avenir professionnel. Il craint aussi que l’exercice soit biaisé ou vain, ne débouchant sur aucune action concrète. Le manager, lui, voit l’entretien comme une tâche administrative de plus à son agenda déjà chargé. Il appréhende aussi que ce moment ne soit le prétexte d’un règlement de compte ou d’une remise en question de son mode de management. Pourtant, bien préparé et mené, l’entretien annuel peut être un moment privilégié de la relation entre manager et managé : l’opportunité de dresser un bilan de l’année passée, de définir les axes d’amélioration pour les mois à venir et d’aplanir les irritants qui polluent le quotidien au travail afin de repartir sur des bases saines.
Contrairement aux idées reçues, la tenue d’un entretien annuel d’évaluation ne répond pas à une exigence réglementaire, à moins qu’une convention collective ou un accord d’entreprise ne le prévoient. D’ailleurs, 40 % des salariés en France, principalement dans les PME, ne bénéficieraient pas de ce dispositif, selon une étude récente (lire l’encadré). En cela, il ne doit pas être confondu avec l’entretien professionnel qui, lui, doit obligatoirement se tenir tous les deux ans.
Un suivi régulier dans le temps
Pour que l’exercice ne soit pas stérile, les entreprises les plus vertueuses ne se limitent pas à un seul entretien dans l’année. Elles prévoient des points de suivi les mois suivants afin de s’assurer que le plan d’actions qui résulte de l’entretien d’évaluation se déroule correctement et, à défaut, réajustent le tir sans attendre le prochain rendez-vous annuel. Une étape encore au-dessus, on trouve l’évaluation à 360° qui permet d’objectiver le jugement du manager direct en demandant l’avis de tous les acteurs ayant un lien en amont ou en aval avec la personne évaluée : supérieurs hiérarchiques, collègues, subordonnés, voire clients ou partenaires. Même si elle n’est pas l’apanage des seules grandes entreprises, cette pratique reste chronophage, rappelle Sébastien Joarlette, consultant pour le cabinet de conseil Oresys. « Solliciter et recevoir un grand nombre d’évaluations prend du temps sur une période restreinte. Cela mobilise beaucoup d’énergies », explique-t-il.
Pour revenir sur l’entretien annuel d’évaluation, cet expert insiste sur sa préparation, un facteur clé de réussite à ses yeux (lire interview ci-dessous). Les questions posées lors de l’échange visent à évaluer la performance et les aptitudes professionnelles du salarié et ses capacités à atteindre les objectifs qui lui sont fixés. L’entretien peut être aussi l’occasion d’évoquer les opportunités de formation ou de mobilité interne, les perspectives d’avancement et d’évolution de carrière.
En revanche, aborder le sujet du salaire peut potentiellement parasiter l’échange. Nombre d’experts RH conseillent de traiter le volet rémunération indépendamment et notamment lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour les entreprises concernées. Si votre service RH n’a pas défini de grille pour conduire l’entretien, il existe un grand nombre de modèles gratuits disponibles sur le Web. De plus en plus d’éditeurs spécialisés, comme Javelo, Elevo ou Eurécia proposent également des outils dédiés. Cette dématérialisation évite les saisies manuelles et permet d’accéder plus facilement à l’historique des comptes rendus des entretiens des années antérieures. Enfin, que prévoir, si l’entretien débouche sur un constat de désaccord ? Un collaborateur jugera, par exemple, que son chef lui fixe des objectifs trop élevés sans lui donner les moyens ad hoc. Un médiateur peut intervenir pour régler le conflit. « Faire appel à un n + 2 met toutefois le manager en difficulté, alerte Sébastien Joarlette. Il faut recourir à cette médiation avec parcimonie. »
— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3034)
Avis d’expert : « La préparation à l’entretien annuel est clé »
Sébastien Joarlette, manager expert en excellence managériale au sein du cabinet Oresys.
Quelle est la finalité première d’un entretien annuel d’évaluation ?
Sébastien Joarlette : Il sert à balayer l’année écoulée puis à se projeter sur l’année à venir en définissant les axes de progrès et les prochains défis. Les attentes du manager et du managé peuvent différer. Tout l’enjeu consiste à concilier les visions des deux parties, de mettre noir sur blanc les compétences acquises, celles à renforcer ou à acquérir. Une fois les objectifs fixés, il convient de se mettre d’accord sur les moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre.
Comment se préparer à cet exercice ?
S. J. : La préparation à l’entretien annuel est le facteur clé de réussite. L’effort doit être partagé. Si le manager est seul à préparer l’échange, ce dernier sera pauvre, sans réelles contrepropositions. Inversement, si le collaborateur est seul à venir avec des notes, le manager sera délégitimé. Quand un entretien est bien préparé de part et d’autre, la partie bilan ne pose a priori pas trop de difficultés et un consensus se dessine rapidement. La définition des axes de progrès peut s’avérer plus compliquée. Si le manager et le managé ont une relation saine et fonctionnent en bonne intelligence, ils finiront par se mettre d’accord.
Quelles sont les autres bonnes pratiques ?
S. J. : Le manager ne doit pas accaparer la parole. Il s’exprimera environ 30 % du temps, laissant ainsi au managé la possibilité de développer sa vision. Se plaçant en écoute active, le manager relance et challenge. Si l’échange doit être préparé, il faut aussi le laisser vivre. En se cramponnant à sa trame, le manager donnerait l’impression que l’exercice est déjà finalisé avant même qu’il ne commence. Un
entretien peut durer une heure ou deux. Il faut s’accorder de la souplesse et ne pas mettre de rendez-vous immédiatement derrière. Ce n’est pas un moment anecdotique pour le collaborateur, il faut lui accorder toute l’importance qu’il mérite. Et puisqu’il s’agit d’un échange particulier, éminemment humain, on privilégiera le mode présentiel. L’entretien peut d’ailleurs permettre de travailler la qualité de la relation manager-managé et l’amélioration du mode de fonctionnement au quotidien.
Faut-il aborder la question de la rémunération ?
S. J. : Chaque entreprise a sa philosophie sur le sujet. Certaines organisations intègrent la question du salaire lors de l’entretien annuel, d’autres la traitent indépendamment lors d’un autre rendez-vous. Évoquer la rémunération en plus du bilan de l’année écoulée et des projections sur la nouvelle année peut faire beaucoup. Il ne faudra pas que la question du salaire phagocyte l’entretien ou au contraire, qu’elle soit bâclée à la fin. Elle est, par ailleurs, source d’insatisfaction. Au mieux, l’augmentation était celle attendue par le collaborateur. Dans le cas contraire, il sortira frustré de l’entretien.
Étude : Six salariés sur dis « dispensés d’entretien annuel
L’entretien annuel n’est pas si généralisé que d’aucuns pourraient le croire. Selon une étude de l’Ifop, parue en juin 2023 et menée pour l’éditeur Javelo auprès d’un peu plus de 1 000 personnes, seuls 40 % des salariés : en France, bénéficient d’un entretien annuel d’évaluation en France. Effet de taille oblige, 78 % des grandes entreprises (plus de 500 collaborateurs) pratiquent cet exercice, contre 35 % pour les structures de moins de 20 salariés. Les acteurs publics (70 %) sont aussi plus assidus que les entreprises du secteur privé (57 %). Les points de suivi permettant de faire un bilan du plan d’actions défini lors de l’entretien annuel sont encore plus rares. En se concentrant sur les salariés qui ont la chance de passer un entretien, moins d’un sur deux (48 %) en bénéficie. Une majorité d’entre eux juge pourtant ce suivi indispensable. Il permet de s’assurer que les actions convenues sont concrètement mises en oeuvre (36 %) ou de les réajuster à intervalles réguliers (30 %).
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