Comment (vraiment) favoriser le maintien dans l’emploi des seniors

Publié le 10 février 2023
Temps de lecture estimé : 7 min

Le débat actuel sur l’allongement de l’âge de départ à la retraite est l’occasion d’évoquer le sujet encore tabou de l’employabilité des seniors. Les plus de 50 ans constituent pourtant des leviers précieux pour la cohésion sociale et la transmission des savoirs.

Que l’on soit pour ou contre la réforme des retraites, celle-ci aura pour mérite de relancer le débat sur le maintien dans l’emploi des seniors. La France est l’un des pays occidentalisés où le taux d’emploi des 60-64 ans est le plus bas. Bien qu’en augmentation depuis quinze ans, il se situait, en 2021, à seulement 35,5 % selon les statistiques de la Dares (ministère du travail) contre 81,8 % des 25-49 ans et 75,1 % pour la population des 55-59 ans.

Directrice générale de Nexmove, cabinet de conseil en stratégie de carrière du groupe Human & Work, Marie-Liesse Morgaut se réjouit que l’enjeu de l’employabilité des seniors soit actuellement aussi central : « Ce sujet est souvent mis sous le tapis, voire tabou. Quel que soit son âge, chacun mérite d’avoir sa place en entreprise. De son côté, l’entreprise doit être à l’image de la société, dans toute sa diversité. » Un gage aussi, selon elle, de performances.

Déconstruire les stéréotypes

Chers, peu flexibles et mobiles, moins productifs, souvent malades, réticents aux changements et aux évolutions technologiques… Les plus de cinquante ans souffrent de préjugés bien ancrés qui les excluent parfois de la vie active. L’âge constitue le premier motif des discriminations liées au travail, avant même l’origine ethnique (lire encadré). Si les mentalités évoluent dans le bon sens, il reste encore beaucoup à faire. Selon une enquête BVA, publiée en juillet dernier  pour le compte de Human & Word, 66 % des responsables RH européens déclarent mettre en place des politiques RH à l’intention des seniors mais, dans le même temps, 55 % d’entre eux se montrent réticents à en embaucher. Un comble, dans le contexte actuel de pénurie de compétences, que de se priver de ces profils expérimentés. Fiables, autonomes, assidus au travail, attachés à la culture d’entreprise, directement opérationnels… Les seniors présentent justement, en miroir, les qualités dont seraient dépourvus les jeunes actifs des générations Y et Z. Ces derniers auraient, selon les sociologues, un rapport plus distancié avec le monde de l’entreprise. Mémoire de l’entreprise, les seniors peuvent même faire le lien entre les générations en assurant la transmission des expériences et des savoirs acquis au fil des années.

En attendant l’index sur l’emploi des seniors

Pour favoriser l’employabilité des seniors, une entreprise peut mettre en place un plan d’actions dédié. Au-delà du mentorat, qui valorise le transfert des connaissances intergénérationnel, il convient de préparer la dernière partie de carrière. Un bilan de compétences permet d’identifier les évolutions possibles du collaborateur et d’évaluer ses besoins en accompagnement et en formation.

Des entreprises sont pionnières dans le domaine. À l’initiative du groupe L’Oréal et du Club Landoy, un think tank dédié à la révolution démographique, 32 entreprises, dont BNP Paribas, Orange, Sodexo ou Pernod Ricard, ont pris en mars dernier, dix engagements en faveur de l’emploi des plus de 50 ans. Des engagements qui vont du recrutement au départ à la retraite.

Le cadre réglementaire devrait favoriser voire contraindre les entreprises à ce type d’initiatives. Au-delà des dispositifs qui incitent au maintien en activité des seniors, comme le contrat de génération, les périodes de professionnalisation, le cumul emploi-retraite ou la retraite progressive, le gouvernent a annoncé, dans le cadre de la réforme des retraites, la création d’un index sur l’emploi des seniors.

Calqué sur l’index mis en place pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, ce nouvel index mesurerait l’évolution des recrutements et de l’emploi des seniors en entreprise sur la base de différents indicateurs. Sa publication serait obligatoire pour les entreprises de plus de mille salariés dès cette année, et pour celles qui en emploient plus de trois cents en 2024.

— Xavier BISEUL (Tribune Verte 3007)

Étude : RECRUTEMENT : L’ÂGE, UN FACTEUR FORTEMENT DISCRIMINANT

Alors que l’on ne cesse de parler de guerre des talents, certains profils sont moins sollicités par les employeurs. Selon une récente étude du cabinet Robert Half, près de deux tiers (63 %) des salariés français âgés entre 45 et 55 ans n’ont pas du tout été sollicités par les recruteurs au cours des six derniers mois (et 19 % l’ont été rarement). Pour la tranche des 18-34 ans, ils ne sont que 26 % à être ainsi snobés et 46 % pour l’ensemble des sondés. Pourtant, les seniors sont ouverts aux changements. Chez les profils expérimentés qui comptent changer d’emploi dans les six prochains mois, 29 % seraient prêts à changer de secteur et même 21 % à entamer une reconversion professionnelle. Le manque de perspectives d’évolution en interne est, après le salaire, le deuxième critère qui pousse les 45-55 ans à changer d’entreprise, juste avant l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.

Avis d’expert : « LES SENIORS ONT DÉVELOPPÉ À LA FOIS UN SAVOIR-FAIRE ET UN SAVOIR-ÊTRE »

Marie-Liesse Morgaut, directrice générale du cabinet Nexmove

Quels sont les atouts des seniors ?


Marie-Liesse Morgaut : Leurs atouts sont nombreux. Les seniors se concentrent moins sur les enjeux de carrière ou de rémunération. Ils veulent avant tout se sentir utiles. Ils développent, par ailleurs, un fort sentiment d’appartenance, leur engagement et leur loyauté sont rapidement pris à défaut. Avec des enfants généralementgrands, les seniors ont davantage de disponibilité. À tort, leur rôle est souvent circonscrit au mentoring et au transfert de compétences, alors que les seniors peuvent apporter une valeur ajoutée différenciante qui va bien au-delà. On le voit avec le succès du management de  transition, leur niveau d’expertise et d’expérience les rend directement productifs et opérationnels. En plus d’un savoir-faire intellectuel ou manuel, ils ont développé un savoir-être et notamment des qualités de communication et d’empathie. Leur intelligence émotionnelle et situationnelle leur donne une prise de recul salutaire dans le contexte actuel particulièrement mouvementé. Les seniors ont vécu bien d’autres crises !

Comment alors expliquer leur faible employabilité ?


M.-L. M. : Dans la guerre actuelle des talents, les employeurs concentrent leur recrutement sur les jeunes générations alors que celles-ci prennent leurs distances avec le monde de l’entreprise. D’après les études, les seniors bénéficient aussi moins des formations. Il n’y a pourtant pas d’obsolescence programmée et la formation est un levier essentiel d’engagement. Il s’agit aussi de favoriser le partage des connaissances entre générations avec notamment le reverse mentoring. Certains seniors vont inconsciemment s’auto-placardiser. Ils ont impression qu’ils n’ont plus leur place. Cette posture défensive contribue à nourrir les stéréotypes à leur encontre. Ils se font discrets alors qu’ils ont énormément de choses à apporter. La généralisation du télétravail introduite avec la crise sanitaire présente un gain contrasté. S’ils gagnent en énergie avec la suppression des temps de transport, les seniors accordent beaucoup d’importance au lien social. Ils ne vont pas en entreprise pour s’enfermer dans leur bureau.

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