La biomasse « une matière première à forte valeur ajoutée qui n’a pas de sens dans un modèle économique pétrolier »
Les cultures végétales dites « non alimentaires » refont de plus en plus surface avec la transition écologique. Nicolas Béfort, professeur d’économie à Neoma Business School et expert sur la bioéconomie, apporte un éclairage sur ce sujet.
Comment la bioéconomie s’insère-t-elle dans une société essentiellement basée sur le pétrole ?
Nicolas Béfort : Nous travaillons la question de la bioéconomie comme la question de la sortie du pétrole : il faut trouver des sources de matières renouvelables, telle que la biomasse. Or, cela pose des questions très profondes en termes de réorganisation des chaînes de valeur parce que tout ce qui est produit aujourd’hui est rendu possible par le pétrole. Nous savons très bien où se trouve le pétrole, comment l’extraire, le transformer, etc. Et contrairement à ce que l’on pense, la disponibilité en biomasse est beaucoup plus faible que la disponibilité en pétrole.
Nous pourrions donc substituer un atome de carbone d’origine fossile par un atome de carbone d’origine agricole. Toutefois, le problème de cette stratégie réside dans la structure même de la matière. En effet, le pétrole est constitué de chaînes carbonées très longues, issues du végétal, qui ont été raffinées pendant des milliards d’années dans le sol. Tandis que la biomasse se constitue de chaînes de carbone encore plus longues. Des problèmes économiques très forts vont alors se poser avec cette stratégie, qu’on appelle « substitution terme à terme ». Par exemple, remplacer le polyéthylène d’une bouteille en plastique par du végétal coûte très cher à produire compte tenu de la structure de la matière. Enfin, nous n’avons pas assez de biomasse disponible pour réussir à atteindre les économies d’échelle qui sont rendues possibles par la structure de la matière fossile.
La deuxième stratégie consiste à utiliser les fonctionnalités de la biomasse pour répondre aux fonctionnalités attendues d’un produit. Par exemple, utiliser les fibres de chanvre pour produire du tissu. La biomasse est une matière première à très forte valeur ajoutée qui n’aurait pas de sens dans un modèle pétrolier à faible valeur ajoutée comme les plastiques à usage unique.
Comment voyez-vous l’évolution des cultures non alimentaires dans l’agriculture ?
N. B. : Je pense que la généralisation des cultures non alimentaires est très difficile parce que nous avons un régime alimentaire très consommateur de terre agricole, notamment pour la production de viande. En effet, la moitié de la production alimentaire mondiale sert à l’alimentation animale et environ 10 % des céréales servent à produire du carburant d’origine agricole.
Dans les industries végétales non alimentaires et traditionnelles en France, on retrouve le chanvre pour le textile, mais aussi pour la construction dans le BTP le bois, la betterave pour le diesel et le colza pour l’éthanol.
Prenons l’exemple de la betterave industrielle, qui permet de produire des biocarburants en plus de produire du sucre. Ce modèle est problématique puisque les conditions de rentabilité, que je qualifierais de l’aire du fossile, sont basées sur des économies d’échelle. C’est-à-dire que ce modèle dépend de très gros volumes pour dégager des toutes petites marges, ce qui oblige à maintenir une organisation productiviste. Or, diversifier les cultures pour des valorisations alimentaires comme non alimentaires me semble une alternative moins risquée. La diversification permet d’avoir des productions à plus forte valeur ajoutée et de viser des plus petits marchés.
Quel modèle économique serait à privilégier dans les cultures non alimentaires ?
N. B. : À mon sens, le modèle le plus intéressant et le moins coûteux repose sur l’usage d’une partie de la biomasse (la plante) pour valoriser une fonctionnalité du végétal. Par exemple avec le chanvre, l’investissement de départ sera bien moins coûteux que l’investissement dans une usine de betterave. Pour une défibreuse, il faut compter moins d’un million d’euros tandis que pour une bioraffinerie, les machines coûtent 100 millions d’euros ! Il est plus simple de rentabiliser un investissement avec une biomasse à forte valeur ajoutée telle que le chanvre.
Comment les agriculteurs peuvent-ils intégrer ces cultures dans leur processus de production ?
N. B. : La réponse se trouve dans l’organisation géographique de ces cultures. On ne peut pas rejeter la nécessité d’un volume de production plutôt important, notamment pour produire des matériaux qui permettent de se loger, de se déplacer, de se nourrir, de se vêtir, etc. On pourrait donc imaginer du maraîchage à proximité des villes pour nourrir les habitants et des cultures non alimentaires qui seraient un peu plus éloignées de la bordure des villes. Ensuite, il s’agit de trouver un équilibre sur les débouchés et s’assurer que la taille du marché soit suffisante pour alimenter un business model.
Dans ce cas, comment pérenniser les filières non alimentaires dans le secteur agricole ?
N. B. : Là encore, il ne faut pas oublier qu’une bonne partie du modèle agricole français s’est développée grâce aux coopératives. Nous pourrions très bien imaginer le partage d’outils de production, notamment pour les biotechnologies. Par exemple, à l’échelle d’un bassin de production, il pourrait y avoir une unité de production biotech qui servirait à produire quelques intrants pour l’agriculture soutenable, telles que des huiles essentielles. Cette même machine pourrait ensuite servir à d’autres types de production sur certaines périodes de l’année, afin de répondre aux différentes demandes.
Il y a un autre point qui n’est pas assez pris en compte : les produits issus des cultures non alimentaires ne sont pas vendus au consommateur final, car ce sont des produits intermédiaires. Les industriels sont souvent verrouillés par leur choix technologique amont et donc sur une seule biomasse. Certes, il peut y avoir de nombreux débouchés, mais ceux-ci existent souvent déjà et il sera difficile de les concurrencer. Contrairement à ce que l’on enseigne en école de commerce, il ne faut pas créer un savoir-faire puis trouver la demande, mais l’inverse !
Que pensez-vous de l’usage de la biomasse pour la production d’énergie ?
N. B. : Il ne faut pas faire uniquement de l’énergie à partir de la biomasse, parce que cela posera très vite des problèmes de disponibilité. Compte tenu de la disponibilité limitée en biomasses, nous pouvons nous demander qui sera en mesure de décider leur valorisation. Est-ce que la décision sera laissée au marché ? D’autre part, la valorisation énergétique de la biomasse peut être problématique lorsque les fermes orientent leur production uniquement en ce sens. C’est notamment ce qui s’était passé en Allemagne : dans certaines régions toutes les fermes étaient spécialisées dans la méthanisation.
— Propos recueillis par Amélie DI BELLA (Tribune Verte 3040)
Définition : LA BIOÉCONOMIE, QUESAKO ?
D’après le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, « la bioéconomie est l’économie de la photosynthèse et plus largement du vivant. Elle se base sur la production et la mobilisation de biomasse pour une valorisation optimale ». Ce modèle économique englobe toutes les activités qui produisent ou transforment de la biomasse : agriculture, aquaculture, forêt, agroalimentaire, chimie du végétal, etc.
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